Who [ has ] done it ? / Fabien Soret
Des portraits. Sur fond noir. De face ou de trois quart.
Puis vient le regard. Étrange et pénétrant. Mais ce n’est ni un rêve, ni un cauchemar. Plutôt un jeu d’énigmes qui se met en place entre le peintre et celle/celui qui regarde. Qui sont ces gens ? Pourquoi cet air sérieux et envoûtant ? Qui – parmi eux – a fait quoi ?
Comment distinguer le coupable de l’innocent ? Le bon, la brute, du truand ? Le Colonel Moutarde, du Professeur Violet ou de Madame Leblanc ? Le passé du présent ?
Comment faire naître une image qui laisse la liberté au spectateur d’inventer sa propre histoire ? Pour y arriver, Fabien Soret avance ses pions et rebat les cartes. Il commence par collectionner des clichés d’inconnus d’âges, d’époques et de sexes différents. Ce qui le guide ? L’esprit de famille. Assurément.
Celui qui hante aussi bien les manoirs que les vieux albums photos, les gardes à vue et les cabinets de curiosité. Ces figures anonymes ont parfois des traits communs qui pourraient en faire des sœurs, des amis ou des cousins éloignés venus du Moyen Âge ou d’un futur extraterrestre.
Les cheveux blancs soyeux de celle-ci ; les joues rougies de celle-là. Un carnaval des âmes ; un Freak Show de la normalité. Car ambigus, ils le sont parfois.
Sans doute parce qu’ils n’ont pas choisi de se retrouver face à nous. Austères parce que contraints de prendre la pose. Ils sont muets ou doués du pouvoir de télépathie comme dans un film d’anticipation. Une vérité humaine, crue et sans information.
Ensuite, vient le plaisir de peindre et le plaisir de les peindre uniquement. Prendre le temps de rencontrer la matière. Tenter de maîtriser les outils et la technique afin de s’en libérer. Même s’il revisite avec humour et fantaisie l’art du portrait dans la plus grande tradition classique1, Fabien Soret ne caricature jamais. Son seul sujet, c’est la peinture.
Comme dans les romans policiers, il part des archétypes pour mieux les déformer. Il contracte cette bouche, étire cette paupière. Arrête le temps, laisse passer la lumière. Il ouvre et crée des espaces avec autant de mystère. Ajoute ce léger détail, ce minuscule décalage, ce petit grain de sable qui fait dérailler l’illusion de la peinture considérée comme un miroir de la réalité.
Son travail est délicat, raffiné. Sa poésie, silencieuse. Et si, finalement, toutes ces toiles n’étaient rien d’autre qu’un autoportrait ? Celui d’un peintre qui nous regarde au milieu de son atelier.
Posant une devinette. À la fois possible et impossible à résoudre.
Jean Marc FLAHAUT , 2023
[1]Pour cette série, la référence principale est la peinture flamande du XV et du XVI e siècles.